INTRODUCTION A LA SOCIOLINGUISTIQUE

INTRODUCTION A LA SOCIOLINGUISTIQUE

INTRODUCTION A LA SOCIOLINGUISTIQUE 


1- Limites et chevauchement avec la sociologie 


On peut distinguer aujourd’hui un double mouvement, l’un qui va de la sociologie vers la linguistique, l’autre qui va de la linguistique vers la sociologie. Tout sociologue qui mène une recherche qui va au-delà d’un domaine limité, qui prétend donc à une vision d’ensemble de sa discipline, fait référence à la linguistique comme savoir organisé. Cette référence peut signifier une aide, un modèle valable analogiquement ou le moyen de trouver un fondement commun à toutes les sciences humaines. « La sociologie est le discours sur la société située et constituée en type le long d’un développement historique global des sciences humaines dans lesquelles les oeuvres (art-religion) prendraient leur sens et leur place(…) Le recours à la linguistique est le recours à un moyen (code-règles-traits) à la fois universel et typique de comprendre les oeuvres et les types de sociétés qui vont vers notre société moderne et les utopies qui y sont possibles ».

Nombre de sociologues, sinon tous recourent à quelque chose qui a à voir avec la linguistique sous le nom de contenu, de sémantique, de termes associés… Inversement, le linguiste va vers la sociologie ou plus justement vers le thème « société » dans la perspective d’une vision complète et différenciée de la langue comme état, institution, texte, style et discours. La linguistique est à la fois et constamment historique, pédagogique, stylistique et politique parce qu’en aucun cas la langue n’est conçue comme une opacité mais au contraire comme une transparence analysable en multiples différences, lesquelles conduisent soit à un ensemble en emboîtements, soit à un équilibre.

C’est donc la sociolinguistique qui peut constituer un lien complexe et offrir une articulation des possibilités et des types de preuve que peuvent offrir ces deux disciplines, la linguistique et la sociologie. Les articles, les revues montrent que la langue n’est pas seulement un moyen de communication entre les hommes, ni un moyen de s’influencer réciproquement. Elle n’est pas uniquement porteuse d’un contenu que celui-ci soit inexprimé ou manifeste mais elle est elle-même un contenu. Elle permet d’exprimer l’amitié ou l’animosité, elle indicateur de la position sociale et des relations de personne à personne. Elle détermine les situations et les sujets, les buts et les aspirations d’une classe sociale ainsi que l’important et vaste domaine de l’interaction qui donne à chaque communauté linguistique son caractère particulier.

Chacune de ces communautés possède un certain nombre de variétés linguistiques, toutes différentes les unes des autres selon leur fonction. Dans la plupart des cas, ces variétés correspondent à diverses spécialisations relevant du domaine de la profession ou de l’intérêt, par exemple, la langue des affaires, la langues de la rue, de la maison et c’est pourquoi le vocabulaire, la prononciation et la structure de la phrase comportent des éléments qui ne sont généralement pas utilisés et qui parfois ne sont même pas compris par toute la communauté linguistique.

Les utilisateurs de ces variétés spécialisées ne peuvent pas toujours les employer, ils doivent chaque fois se servir d’une variété linguistique qui convient aux auditeurs avec lesquels ils sont en contact. De manière général, ce sont ces passages d’une variété à l’autre qui forment l’objet de la sociolinguistique ou encore de la sociologie du langage, science qui, entre autres, s’efforce de déterminer qui parle quelle variété de quelle langue, quand, à propos de quoi et avec quels interlocuteurs.

La sociolinguistique essaie de décrire les caractéristiques linguistiques et fonctionnelles des variétés du répertoire verbal, quelle que soit leur nature (qui dépend de la profession, de la classe sociale, de la région ou de leur interaction) car les dialectes initialement régionaux peuvent représenter des différenciations sociales et inversement. La sociolinguistique s’efforce de faire plus encore.

Elle essaie de déterminer l’influence linguistique d’une variété sur l’autre et étudie aussi de quelle manière les changements dans le processus et l’influence réciproque des réseaux de locuteurs peuvent modifier l’extension de leurs répertoires verbaux.

Bref, la sociolinguistique tâche de découvrir quelles lois ou normes sociales déterminent le comportement linguistique dans les communautés linguistiques, et s’efforce de les délimiter et de définir ce comportement vis à vis de la langue même.

Elle essaie également de déterminer quelle valeur symbolique ont les variétés linguistiques pour leurs usagers. Les variétés peuvent signifier l’intimité et l’égalité, d’autres correspondent à un niveau d’éducation ou à un caractère national en raison du savoir nécessaire à leur emploi ou à ceux qui en usent. Donc la sociolinguistique est l’étude des caractéristiques des variétés linguistiques, des caractéristiques de leurs fonctions et des caractéristiques de leurs locuteurs, en considérant que ces trois facteurs agissent sans cesse l’un sur l’autre, changent et se modifient mutuellement au sein d’une communauté linguistique.

En résumé on peut dire que la sociolinguistique a affaire à des phénomènes très variés : les fonctions et les usages du langage dans la société, la maîtrise de la langue, l’analyse du discours, les jugements que les communautés linguistiques portent sur leur(s) langue(s), la planification et la standardisation linguistiques.

Elle s’est donnée pour tâche de décrire les différentes variétés qui coexistent au sein d’une communauté linguistique en les mettant en rapport avec les structures sociales, aujourd’hui, elle englobe pratiquement tout ce qui est étude du langage dans son contexte socioculturel. Elle traite donc de trois types d’objets :

-La diversité ou variétés linguistiques

-la communication conçue comme échange entre deux ou plusieurs acteurs sociaux, et comme ensemble de pratiques socialisées

-Les problèmes qui relèvent du plurilinguisme : emprunt, code switching…


2- Limites et chevauchement avec la linguistique


Principale différence avec la linguistique « générale » : celle ci décrit la langue comme un système autonome alors que la sociolinguistique considère la langue comme une production/ un acte social.

- La linguistique s’intéresse principalement à la description de systèmes, au développement dit interne (cf. linguistique historique, comparatisme, etc.) cf. la fameuse distinction saussurienne entre langue (produit collectif) et parole (acte individuel).

- La sociolinguistique s’intéresse principalement à l’interaction entre la société (au sens large) et les productions linguistiques : chevauchement avec la sociologie, la politologie, l’histoire,

-l’anthropologie cf. études des politiques linguistiques, des rapports langues/identités, des rapports sociaux à travers études des normes etc. Plus précisément une grande attention sera donnée à la variation (par opposition à la règle), aux facteurs sociaux expliquant cette variation (géographique, ethnique, sociale, etc.).

La ville comme lieu de contact/variation va devenir un lieu privilégié d’études (par opposition à dialectologie)

Ces différents approches des faits langagiers se traduisent également par des méthodologies différentes : la description grammaticale d’une langue peut se faire à partir d’un informateur, ou d’un corpus de textes écrits par exemple ; l’approche sociolinguistique suppose des recueils de corpus en « situation » qui mettront en valeurs la diversité des usages en fonction de la diversité des locuteurs. I-


3- Bref aperçu historique de la sociolinguistique générale 


Avant que le terme sociolinguistique ou sociologie de la langue existe il y avait évidemment des gens qui faisaient de la sociolinguistique « sans le savoir » cf. études dialectales, sur les patois et donc prise en compte de la variation géographique, études sur les contacts de langues (Schuchardt 1842-1927, Weinreich), linguistique historique avec en France des gens comme Meillet, Marcel Cohen, etc., ou l’anthropologie linguistique comme Boas, Sapir, etc.. et bien au delà en ce qui concerne le rapport langue/pensée (logiciens) et le rapport style/classe sociale.

La sociolinguistique comme discipline constituée s’est élaborée dans les années 1960 aux USA autour d’un groupe dont la plupart des membres vont devenir célèbres dans leur champ respectif (cf. Calvet 2003) : Dell Hymes, Fishman, Gumperz, Labov, Ferguson, etc.

Leur approche peut se résumer à cette sentence célèbre « Etudier qui parle quoi, comment où et à qui » (Fishman, 1965). Les rapports sociaux entre les individus deviennent centraux et non plus périphériques. La sociolinguiste s’est constituée en opposition plus ou moins marquée avec le structuralisme et bien sur avec le générativisme.

Chacun de ces membres développera un champ particulier de la sociolinguistique : Hymes : contact de langue et créolistique / Fishman : langues des minorités et rapport langue/identité/Gumperz « la sociolinguistique interactionelle et l’ethno-méthodologie Labov : la sociolinguistique variationiste urbaine / Ferguson : champ large mais pour le domaine arabe sur lequel je reviendrai : la question de la diglossie et les koines urbaines.

A partir de la fin des années soixante, la sociolinguistique devient un champ important, actif qui a beaucoup apporté au renouvellement de nos catégories en particulier grâce au domaine de la linguistique de contact et qui a souligné la relativité des frontières et des catégories: Les langues qui étaient perçues comme des systèmes autonomes vont de plus en plus être perçues comme des systèmes poreux, fluides, variables, etc.

La sociolinguistique rappelle que les langues sont des abstractions, des catégories construites par les linguistes/grammairiens et les acteurs sociaux et politiques qu’il s’agisse des catégories comme langues ou dialectes ou variétés.

Toutes ces catégories ne reflètent pas des réalités inhérentes. Donc la sociolinguiste a participé du mouvement général des idées en Sciences humaines de la deuxième partie du XXème siècle où on est passé de conceptions essentialistes héritées du 19ème s. (cf. races, ethnies, langues) à des conceptions beaucoup plus relativistes, contextualisées, historicisées (il n’existe pas de catégories pré-établies, ce sont les acteurs et les chercheurs qui créent ces catégories )

Mais comme toute discipline, la sociolinguistique a eu également tendance à se fragmenter en de multiples sous domaines avec des querelles de méthode qui ne sont pas toujours très passionnantes. Parmi les grandes tendances actuelles:

a) d’une part tous les travaux relevant de la sociologie du langage où l’accent est surtout mis sur les groupes sociaux, les politiques linguistiques etc. et où la description des faits linguistiques est relativement marginale,

b) la linguistique variationiste, tendance Labov, qui reste dans une conception systémique du langage même si considère que la variation est le moteur de l’évolution linguistique. Cette branche s’attache principalement à l’étude des variantes sociales à l’intérieur de ces systèmes. Domaine qui attache une grande importance aux corrélations statistiques comme dans la sociologie et c’est pourquoi ce sont essentiellement des variantes phonologiques qui sont étudiées car sont plus facilement comptabilisables. On peut également placer dans cette lignes les travaux de l’école anglo-saxonne qui ont beaucoup travaillé sur le contact dialectal en milieu urbain et les phénomènes d’accommodation dialectal (Trudgill, Milroy, Kersvill, etc.).

c) tout le domaine de la pragmatique, sociolinguistique interactionnelle, les actes du discours etc. où l’on va montrer dans des études plutôt micro comment les locuteurs jouent, se positionnent sur les différents registres/variétés de langue

d) plus récemment et principalement en France, une sociolinguistique urbaine (Bulot, Calvet) qui ne prend pas simplement la ville comme cadre, mais qui s’interroge sur l’interaction entre ville et pratiques langagières, sur l’urbanité des faits linguistiques.

e) Tout le domaine du contact de langue et de la créolistique qui a connu un essor très important depuis trente ans et qui regroupe des approches très différentes.