Les composantes sémantiques du texte

Les composantes sémantiques du texte


Les composantes 

sémantiques du texte



La SI, au moyen des concepts qui précèdent, s’occupe de l’étude du plan du contenu au sein du texte
qu’elle définit comme l’interaction non séquentielle de quatre composantes sémantiques : la thématique (contenus investis, isotopies), la dialectique (acteurs, états et processus), la dialogique (énonciation représentée, modalisation) et la tactique (disposition et enchaînement des contenus) (Rastier et al., 1994, ch. 7 et Rastier, 2001a, pp. 38-41). Cette conception concrétise le projet d’une théorie unifiée, se substituant aux modèles partiels du texte. La dialectique intègre et dépasse les travaux ayant porté sur le récit ou la théorie de l’argumentation dans la langue développée par Ducrot et Anscombre 14, la dialogique ceux qui portent sur l’énonciation ou la narration par exemple et une partie de la théorie de l’argumentation dans le discours 15.


1. La thématique : fonds et formes sémantiques

Rappelons d’abord qu’il existe trois types de classes sémantiques, les taxèmes, les domaines et les
dimensions, et qu’au sein de chacune d’elles, est spécifié un type particulier de trait générique (micro-générique, méso-générique et macro-générique). Les sèmes spécifiques disjoignent des sémèmes au sein d’une classe. La récurrence d’un type particulier de sème induit un type particulier d’isotopie. Par suite, la typologie des sèmes et des classes a servi à établir celle des isotopies.

Dans la première tentative de systématisation de la composante thématique (Sens et textualité, 1989, ch. 4), Rastier oppose les thèmes spécifiques aux thèmes génériques et, au sein de ces derniers, il distingue trois types de thèmes :  (i) les thèmes micro-génériques ou taxémiques  (ii) les thèmes méso-génériques ou domaniaux et (iii) les thèmes macro-génériques ou dimensionnels.

Cette classification est parallèle à celles des sèmes et des isotopies : « Aux trois types de classes sémantiques correspondent trois types de thèmes génériques » (Rastier, 1989, p. 55). Cependant, la définition du thème sera ensuite reformulée et précisée. Dans Arts et sciences du texte (Rastier, 2001) on lit en effet: « La récurrence d’un sème générique induit une isotopie générique. Et parfois, dans son acception générale, le mot thème est employé pour désigner le “sujet’’ d’un texte, c’est-à-dire son isotopie générique dominante, ordinairement un domaine sémantique. […] Nous avons à ce propos parlé de thème générique, ce qui est quelque peu excessif, car une isotopie n’est pas une structure. En revanche, un thème spécifique peut se définir comme une molécule sémique, c’est-à-dire un groupement structuré de sèmes spécifiques » (Rastier, 2001a, p. 197).

Les isotopies génériques, particulièrement domaniales, ne constituent donc pas à proprement parler des thèmes, mais des fonds sémantiques. Elles peuvent se manifester en situation d’enchaînement ou
d’entrelacement. La première situation correspond aux cas où une première isotopie est identifiée au sein d’un premier passage, au moment où une deuxième se manifeste séparément au sein d’un deuxième passage, les deux isotopies se succédant dans le même texte sans en quelque sorte se croiser. La seconde situation se retrouve, au contraire, dans les cas où plusieurs isotopies sont simultanément identifiées au sein d’un même passage.

Une isotopie spécifique ou un faisceau d’isotopies spécifiques constituent des formes sémantiques, dont les thèmes sont un cas particulier. Un thème est une molécule sémique 16 et, contrairement à une isotopie, il se présente comme une structure, c’est-à-dire un groupement de sèmes, plus ou moins régulier. Si les isotopies génériques établissent des fonds perceptifs, les isotopies spécifiques sont définies comme des formes régulières qui se détachent sur ces derniers (2001a, p.48). Les concepts et les notions scientifiques peuvent précisément être décrits, dans ce cadre, comme des formes sémantiques, et les grands domaines de la pratique ou les champs sociaux comme des fonds sémantiques)17.


2. La composante dialectique

La dialectique, « qui comprend entre autres les théories du récit » (Rastier, 2001a, p. 39), est composée de deux niveaux : événementiel et agonistique. Le premier niveau met en jeu des acteurs, des rôles et des fonctions, le second met en scène des séquences et des agonistes. Cette composante décrit donc les états et les processus au sein du texte.


2.1. Le niveau événementiel

Ses unités sont les acteurs, les rôles et les fonctions :
Les acteurs « Un acteur peut être défini comme une classe d’actants qu’il subsume : il est constitué par totalisation d’actants anaphoriques dont les dénominations lexicalisent un ou plusieurs de ses sèmes » (Rastier, 2001, p.39). Les actants ainsi subsumés ont le statut d’occurrences par rapport à l’acteur qui possède alors le statut de type. Les actants sont instanciés par des dénominations, des descriptions définies ou indéfinies, ou par pronominalisation. « Un acteur se compose de trois sortes de traits : une molécule sémique constituée des sèmes spécifique de ses actants, des sèmes génériques […] ; des sèmes afférents qui sont des rôles construits à partir des cas sémantiques associés aux actants qu’il subsume » (2001a, p. 39). Les acteurs rentrent en interaction les uns avec les autres, au sein de processus ou de fonctions, et occupent de ce fait des rôles.


Les rôles

« Un rôle est un type d’interaction entre acteurs » (Rastier, 1989, p.73). Les rôles se définissent
relativement aux acteurs. Ce sont des cas sémantiques (ergatif, accusatif, datif, etc.) associés aux actants subsumés par un acteur, un cas sémantique étant, au sein d’un procès, une relation entre actants .Un rôle est défini, au sein d’une fonction ou d’un processus, par la place occupée par un acteur participant à ce processus ou à cette fonction.


Les fonctions

« Les fonctions sont des interactions typiques entre acteurs : ce sont des classes de processus » (Rastier, 2001a, p.40). Les fonctions ont le statut de type par rapport aux processus qui en sont les actualisations. Dans « Le démon de l’analogie »18, on relève deux fonctions principales à valence binaire, la réunion des contraires et la séparation des contraires, qui s’actualisent dans différents processus. La première s’actualise par exemple dans labour, mariage, cuisson etc., la seconde dans moisson, sacrifice d’un boeuf, coupe du tissage, etc. Les fonctions se spécifient, lors de leur actualisation dans des processus, par des sèmes génériques. Par exemple (Bourdieu, 1980), les acteurs le soc et la faucille, qui interagissent respectivement avec la terre (dans les labours) et l’épi (dans
la moisson) relèvent du domaine agricole.

Les fonctions peuvent se grouper au sein de syntagmes fonctionnels : « un échange se compose de deux transmissions, un affrontement d’une attaque et d’une contre-attaque » (Rastier, 2001a, p.40).

Un syntagme fonctionnel est un enchaînement codifié de fonctions régies par des relations de présupposition.


2.2. Le niveau agonistique

Les unités du niveau agonistique sont les agonistes et les séquences.

Les agonistes 

Si les actants sont subsumés par un seul acteur, un agonise peut à son tour subsumer différents acteurs : « Un agoniste est un type constitutif d’une classe d’acteurs » (Rastier, 2001a, p.40). A la différence des acteurs, présents dans presque tous les textes qui comportent une composante dialectique, les agonistes ne se rencontrent en général que dans des textes littéraires ou mythiques. Toutefois, dans
« Le démon de l’analogie »19qui porte sur le système mythico-rituel kabyle, les molécules du masculin et du féminin semblent constituer des agonistes. La première subsume, par exemple, les acteurs la place publique, l’homme, le soc, la seconde les acteurs l’espace intérieur, la femme, la terre.

Les agonistes s’actualisent donc par des acteurs au sein de fonctions (classes de processus) ou de
syntagmes fonctionnels (enchaînements codifiés de fonctions). Pour construire un agoniste, il faut partir de l’analyse des différentes occurrences des acteurs dont il constitue la classe. Un agoniste est alors défini, relativement à ses acteurs, comme l’ensemble des composants invariants ou équivalents de leurs molécules sémiques 20 après analyse des processus et fonctions dans lesquels ils rentrent en jeu. Les agonistes sont étroitement liés au système de valeurs du texte, et donc aux évaluations positives ou négatives, propres à la culture et à la pratique sociale où est produit le texte. Héros, traître ne se conçoivent que relativement à une culture, un corpus, une pratique, un texte.

Les séquences

Une séquence est obtenue par « homologation de syntagmes fonctionnels de même forme » (Rastier,
2001a, p. 40). Une séquence est une structure paradigmatique de rang supérieur aux syntagmes fonctionnels (enchaînements codifiés de fonctions). Les relations au sein d’une séquence sont définies par des rapports de présupposition: un syntagme ou une fonction 2 présuppose un syntagme ou une fonction 1 qui le (la) précède)21.

Par exemple, l’enchaînement labour-moisson, dans « Le démon de l’analogie »22, est l’actualisation, dans le domaine agricole, d’une séquence où une opération paradigmatique de réunion des contraires est systématiquement suivie par une autre opération paradigmatique, celle de la séparation des contraires. Les contraires (masculin/féminin, sec/humide) sont naturellement à l’état séparé /nature/. Une première intervention humaine /culture/ (ex. labours) les réunit d’abord, pour qu’une autre intervention humaine /culture/ (ex. moisson) les sépare ensuite et les renvoie à l’état séparé /nature/.

Les deux opérations se présupposent, cycliquement, l’une l’autre : état séparé → réunion→ séparation → état séparé → réunion → séparation→ état séparé … Cette séquence se répète dans plusieurs domaines, année agraire, sexualité, tissage, cuisine, poterie, etc., en mettant en jeu à chaque fois des acteurs spécifiques au domaine considéré. Une séquence est donc une structure paradigmatique, de rang supérieur aux fonctions et aux syntagmes fonctionnels, mais qui se spécifie comme ces derniers par des sèmes génériques.


3. La dialogique

La dialogique rend compte de la modalisation des unités sémantique et de l’énonciation représentée
(Rastier, 2001a, p 41). Elle prend en charge entre autres les phénomènes dont rendent compte les théories de l’énonciation, par exemple la théorie de la polyphonie de Ducrot ou le dialogisme issu de Bakhtine. La logique du sens 23 de Robert Martin constitue la source d’inspiration centrale dans les fondements de la composante dialogique, bien que François Rastier se démarque de la perspective de Martin sur deux points : d’une part, les univers ne sont pas rapportés à des locuteurs réels, mais aux acteurs de l’énonciation représentée, d’autre part, Rastier n’adopte pas une perspective véri-conditionnelle, mais différentielle (Rastier, 1989, p. 83). A tout acteur se trouve associé un foyer énonciatif et un univers, et ce dernier se définit comme « l’ensemble des propositions ou unités textuelles attribuées à un acteur » (Rastier, 2001a, p. 303). Trois mondes peuvent être distingués au sein d’un même univers : le monde factuel (modalité assertorique), le monde contre-factuel (modalités de l’impossible ou de l’irréel) et le monde du possible (Rastier, 1989, p.84).

François Rastier donne les exemples des textes d’instructions techniques et ceux des articles scientifiques. Les premiers ne présentent qu’un seul foyer énonciatif, bien qu’il ne soit pas nommé, alors que les seconds « multiplient les énonciateurs délégués par le biais de citations ou d’allusions » (2001a, p. 41).


4. La tactique

Cette quatrième et dernière composante rend comte de la disposition des unités sémantiques, dont elle
décrit les relations distributionnelles (2001a, p. 41). Elle étudie la succession des unités relatives à toutes les composantes du texte, notamment les rythmes thématiques (modalité d’entrelacement des isotopies, par exemple) et les rythmes dialogiques .
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