Une définition élargie de la poésie

Une définition élargie de la poésie

Une définition élargie de la poésie


Tout d’abord, c’est le statut du poète qui s’est élargi, ainsi que celui de la poésie elle-même. En effet, lorsque Victor Hugo, dans un chapitre de William Shakespeare (1864), se propose d’évoquer ce que sont pour lui les plus grands poètes de l’humanité, il propose une liste de quatre-vingt quinze noms parmi lesquels on relèvera des poètes au sens strict du terme comme Homère, Lucrèce, Virgile, Dante, André Chénier ou Lamartine mais aussi des prophètes (Isaïe, Jérémie), des philosophes (Platon), des dramaturges (Shakespeare, Corneille, Molière, Racine), mais aussi Swift, Voltaire, Diderot, Beaumarchais, Jean-Jacques Rousseau, et plus près de lui Chateaubriand, Balzac, Dumas
ou encore George Sand. Liste qui ne manque pas de nous étonner puisque bon nombre d’auteurs cités ont écrit presque exclusivement en prose : il faut donc que, pour Hugo, ces auteurs aient apporté
dans leur prose quelque chose que le poète apportait auparavant dans le vers. Se manifeste aussi l’idée que, pour lui, la poésie ne se limite plus à cette règle de prosodie en relation avec le mètre du vers et le retour de la rime.

Cette première perception d’un « éclatement » du genre n’a finalement pas cessé de se confirmer ; ainsi, dans un article intitulé « Le Roman et la Poésie » qui ouvre son Répertoire II (1964),

Michel Butor cherche à montrer en quoi le véritable roman est de nature poétique : de même que le poème avec l’ensemble de ses contraintes parvient à tisser un texte qui ne puisse « se défaire », et dont tous les mots vont retrouver leur vertu et leur puissance native grâce à sa forme rigoureuse, de même le grand roman va parvenir à nous éclairer sur notre réalité grâce à une exigence formelle équivalente, à travers une « prosodie généralisée » qui concerne l’ensemble de la structure romanesque. Ainsi, qu’il s’agisse du poème ou du grand roman, des formes poétiques rigoureuses sont à l’oeuvre car elles seules permettent de « pulvériser les mauvaises pentes du langage courant par lesquelles les mots perdent leurs sens, les mots, les choses, les événements, les lois » (id., p. 18).
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