Le théâtre au XXe siècle

Le théâtre au XXe siècle

Le théâtre au XXe siècle

Dès le XXe siècle, le théâtre se diversifie considérablement et emprunte diverses voies. Il se métamorphose au cours des décennies, remettant en cause petit à petit la place du texte et inventant de nouvelles formes. Le discours n’est plus seul porteur de sens. La forme véhicule elle aussi des messages et des symboles. Le metteur en scène devient, au détriment de l’auteur, le créateur, le concepteur du spectacle.


Première moitié du siècle : de l’abstraction à la conscience politique

Au début du XXe siècle, l’avènement de la psychanalyse freudienne et de l’étude de l’inconscient a une grande influence sur les arts. Deux courants artistiques sont en quête de l’inconscient : l’expressionnisme et le surréalisme. Dans cette quête, toute logique est abandonnée et les rêves deviennent le matériau du travail de l’artiste. Les actes, facteurs d’unité, sont remplacés par une succession de tableaux. Le metteur en scène brouille la perception du spectateur dans un désir d’illusion totale, voire de perte de repères. Vsevolod Meyerhold, dramaturge et metteur en scène russe, inclut l’idée du symbole et de la métaphore dans ses mises en scène et invite le spectateur à réfléchir en lui proposant une certaine vision du monde, au moyen d’une stylisation abstraite. Meyerhold souhaite que le spectateur, par son imagination, participe à l’action et en soit en quelque sorte le quatrième créateur, après l’auteur, le metteur en scène et l’acteur. L’acteur, quant à lui,
doit se rappeler en permanence que la scène est un lieu factice et ne doit pas se laisser emporter par son jeu.

Influencé par les théories de Vsevolod Meyerhold, le décorateur et metteur en scène suisse Adolphe Appia engage la réforme de l’esthétique de la mise en scène théâtrale du début du XXe siècle. Il utilise le potentiel des corps, de l’espace, des circulations et de la lumière (grâce aux nouvelles possibilités offertes par l’invention de l’électricité) pour créer ses mises en scène et contribuer à enrichir l’histoire.

En 1938, Antonin Artaud, théoricien du théâtre, acteur et écrivain français, écrit Le théâtre et son double. Dans cet ouvrage, il invente un langage théâtral, indépendant de la parole, traduit par la musique, la pantomime, la danse et le décor. Il cherche ainsi à redonner au théâtre une dimension métaphysique. Selon Artaud, le théâtre doit mettre le spectateur en transe et lui faire perdre le lien avec la réalité pour le faire accéder à une identité plus forte, plus solide. C’est là le pari d’Artaud et de son théâtre de la cruauté : faire vivre au spectateur une expérience unique, voire initiatique.

La distanciation de Bertolt Brecht
En Occident, les années 1930 sont marquées par la montée du totalitarisme (Hitler, Mussolini, Staline, Franco). Dans ce contexte, de nombreux artistes et intellectuels tentent d’éveiller la conscience politique du public. C’est le cas de Bertolt Brecht (1898-1956), homme de théâtre allemand, qui marque l’écriture et la mise en scène européennes avec son théâtre épique. Dans l’Allemagne pré-nazie, qui théâtralise la scène politique, Brecht souhaite « déthéâtraliser » le théâtre dans le but de maintenir le sens critique du spectateur en alerte et le rendre actif dans le processus théâtral. Il introduit le concept de distanciation qui consiste à rendre un objet ou  une situation insolite pour que le spectateur puisse prendre une distance, ou un certain recul, et ne croie pas passivement à ce qui est représenté sur scène. Il ne doit pas y avoir non plus d’identification dans le jeu de l’acteur, ce dernier doit se distancier de son personnage pour détruire l’illusion.


Seconde moitié du siècle : théâtre de l’absurde et théâtre populaire

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale et dans les années 1950, décrétant que le monde
est incohérent, Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Arthur Adamov et Jean Genet placent
l’absurde au coeur du langage théâtral. Le théâtre de l’absurde, ou l’anti-théâtre, combine
dérision et métaphysique en proposant des textes fragmentaires qui ne sont plus porteurs
de sens, ni d’unité.

Parallèlement à ce mouvement, émerge l’idée d’un théâtre populaire, accessible à tous. Des
festivals de théâtre naissent, dont le Festival d’Avignon créé par Jean Vilar en 1947. C’est le
début de la démocratisation culturelle. En Suisse romande, de nouveaux théâtres voient le
jour et permettent l’émergence d’un théâtre de création locale et d’un théâtre professionnel
indépendant. En 1961 à La Chaux-de-Fonds, Charles Joris cofonde le Théâtre Populaire
Romand (ou TPR), avec l’idée que le théâtre doit être investi d’une fonction sociale et culturelle,
devenant ainsi un moyen de sensibilisation du public à l’art et à certaines thématiques
sociétales ou politiques. A Lausanne, après l’Exposition nationale de 1964, Charles Apothéloz
persuade la Ville de Lausanne de racheter et de réhabiliter le Théâtre de Vidy.


Dès les années 1960 : la création collective et les théâtres laboratoires

Grâce à la démocratisation culturelle et à la décentralisation des lieux de culture initiées par la politique d’André Malraux, les théâtres régionaux étatisés voient le jour en France, ainsi que les théâtres laboratoires, propices à la recherche formelle et à la production de nouvelles esthétiques.

Les théâtres laboratoires de Jerszy Grotowski
Jerszy Grotowski (1933-1999), homme de théâtre polonais, considère le théâtre comme un laboratoire permanent. Le théâtre est une expérimentation pure et engagée dans le jeu du comédien. L’entraînement de l’acteur chez Grotowski consiste à débarrasser le corps des contraintes sociales et matérielles, en travaillant la musculature, la respiration et le rythme. Il souhaite débarrasser l’acteur de tout maniérisme et pathos pour qu’il soit au plus près de l’acte théâtral, et revenir ainsi à l’essence du théâtre, organique, sans artifices.

La forme de la création collective apparaît à la fin des années 1960. Les artistes souhaitent échapper aux contraintes du répertoire et créer des pièces qui soient le fruit du travail collectif de la troupe. Les spectacles sont créés à partir d’improvisations des comédiens sur le plateau. C’est sur ce modèle qu’est fondé le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine (1939) dans lequel chacun des acteurs participe à l’élaboration du texte et à la mise en scène. Ce procédé est nommé aujourd’hui écriture de plateau. Sur le plan formel, le théâtre systématise désormais l’usage du monologue, qui permet d’entrer au coeur de l’intime du personnage.

Dans un autre contexte, Augusto Boal, homme de théâtre brésilien, crée un théâtre participatif et contestataire. Durant les années 1970, il voyage en Amérique latine et propose son théâtre militant et éducatif : le théâtre forum, une forme de théâtre participatif traitant de problématiques sociales et politiques. Les comédiens jouent des saynètes et proposent ensuite au public de venir sur scène pour en proposer une nouvelle fin.

Dans les années 1980, les metteurs en scène que sont Patrice Chéreau, Antoine Vitez, Roger Planchon, Ariane Mnouchkine et Peter Brook représentent les grands noms du théâtre. Le théâtre des metteurs en scène prend de l’importance et se répand. Le public assiste à un nouveau théâtre où l’image devient aussi importante que le mot. C’est un théâtre d’exploration, de renouveau. En Suisse romande, en 1989, Jacques Gardel crée l’Arsenic, centre d’art scénique contemporain, à Lausanne : un théâtre de création locale, permettant l’expérimentation et soutenant les indépendants dans les domaines du théâtre et de la danse. Parallèlement, le travail d’auteur se perpétue et représente un retour à un certain classicisme.
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