ANALYSE DE ''L'assommoir'' PARTIE 4 : Intérêt philosophique

ANALYSE DE ''L'assommoir'' PARTIE 6 : Intérêt philosophique

Intérêt philosophique


Zola, se défendant d'être, comme le traitait audacieusement un critique, un «écrivain démocratique et quelque peu socialiste», dans deux lettres des 3 et 9 septembre 1876, au “Figaro”, pour ne pas indisposer les lecteurs de ce journal de droite, affirma : «Je ne suis qu'un greffier qui me défend de conclure. Je verbalise. Je me défends de conclure. La conclusion échappe à l'artiste. Mais je laisse aux moralistes et aux législateurs le soin de réfléchir et de trouver les remèdes.» - «J'entends être un romancier tout court, sans épithète ; si vous tenez à me qualifier, dites que je suis un romancier naturaliste, ce qui ne me chagrinera pas. Mes opinions politiques ne sont pas en cause, et le journaliste que je puis être n'a rien à démêler avec le romancier que je suis. [...] Quant à ma peinture d'une certaine classe ouvrière, elle est telle que je l'ai voulue, sans une ombre, sans un adoucissement. Je ne suis pas un faiseur d'idylles. J'estime qu'on n'attaque bien le mal qu'avec un fer rouge. Je dis ce que je vois, je verbalise simplement, et je laisse aux moralistes le soin de tirer la leçon. J'ai mis à nu les plaies d'en haut, je n'irai certes pas cacher les plaies d'en bas. Mon oeuvre n'est pas une oeuvre de parti et de propagande ; elle est une oeuvre de vérité.»

Il avait annoncé dans son ''Ébauche'' qu'il allait peindre «un effroyable tableau qui portera sa morale en soi».

Toutefois, on peut mettre en question cette «vérité», car les conclusions qu'il tira de son roman sont rudimentaires. Sa prétention naïve de faire oeuvre scientifique l'empêcha de voir au-delà de l'hérédité et de la sociologie qui lui semblaient être des explications suffisantes. De cet homme total qu'il revendiqua, il ne vit que l'élémentaire.

Il fut conduit à une grande sévérité à l'égard des ouvriers du fait de sa conception du travail, qu'il considérait comme un bien, comme une valeur en soi, comme un absolu. Aussi, lorsqu'il se trouva amené à parler du travail des ouvriers, il ne se demanda pas si leur travail pouvait leur procurer la même satisfaction qu'à lui le sien, et il accueillit assez facilement l'accusation des bourgeois que les ouvriers sont paresseux. Son idée que le travail est bon en soi limita la portée de sa critique sociale, fut la cause de l'ambiguïté de son attitude vis-à-vis du problème social, explique en partie que ''L'assommoir'' ait donné lieu à tant de malentendus.

Il ne fit que suggérer le problème des rapports du capital et du travail, de la juste rémunération du travail ouvrier.

Cependant, s'il tenait à l'idée de la nécessaire indépendance de l'écrivain à l'égard de la politique, il fit bien de la déchéance de Coupeau et de Gervaise le symbole de la misère de toute une classe, il dénonça la condition ouvrière, lança un appel angoissé aux responsables d'un ordre social qui engendre la déchéance de travailleurs pourtant producteurs de richesses, déclarant : «Oui, le peuple est ainsi, mais parce que la société le veut bien» (lettre publiée dans ''La vie littéraire'', le 22 février 1877). Il critiqua bien le régime politique car, pour lui, le Second Empire, qui était né dans le crime, avait établi le règne de la volonté de puissance, du cynisme, de l'hypocrisie, de la délation, de la corruption, de l'appétit de jouissance, du luxe effréné de quelques-uns, qui offensait la misère du plus grand nombre. Il fit bien du bon ouvrier Goujet le seul véritable républicain. Le lecteur de ''L'assommoir'' tire donc de sa lecture la même conclusion que celles des volumes précédents des ''Rougon-Macquart'' : il faut abattre l'Empire, et, puisqu'à la date où le livre fut publié. l'Empire était tombé, il montrait bien qu'il fallait changer la société.

Mais Zola ne dit pas comment il fallait procéder, car il estimait que ce n'est pas son domaine. Il ne dit pas plus à quels éléments de la société cette tâche pourrait échoir. Dans ''L'assommoir'', il ne mit pas en cause les structures de la société, se contenta d'affirmer l'urgence et la nécessité de réformes. En fait, il ne savait pas encore comment il pouvait être possible de changer la société ; il allait le découvrir en écrivant son second roman ouvrier : ''Germinal'', et en poursuivant une évolution qui le fit arriver à une claire conscience du problème social dans ses oeuvres finales, ainsi ''Rome'' (1896) où il écrivit :
«C'est de la connaissance seule de la vérité que pourra naître un état social meilleur».

En ce qui concerne l'aspect moral, le lecteur peut se demander pourquoi Coupeau et Lantier n'imitent pas Goujet ; si ce n'est pas parce qu'ils sont «mauvais». Or Zola nia que ses personnages le soient, affirma qu'ils sont seulement «ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent».

D'autre part, dans ''L'assommoir'', le romancier naturaliste, qui peignit un peuple dont le catholicisme se limitait au souci de faire faire aux enfants leur «communion solennelle» (cérémonie où «le curé fait les grands bras, les petites filles pareilles à des anges défilent les mains jointes, avant d’avaler le Bon Dieu»), au refus, de la part de Coupeau, d'«un mariage sans messe» («on avait beau dire, ce n’était pas un mariage») ; dont la «religion» n'était guère faite que de superstitions, comme celle du caractère néfaste du chiffre 13 (qui conduit Gervaise à chercher un quatorzième convive !), ne montra aucun souci de métaphysique. Aussi put-on lui reprocher d'avoir laissé l'être humain sans recours, sans espoir en un au-delà.

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