Mythe et réécriture

Mythe et réécriture


Mythe et réécriture


Le texte littéraire, s’il est en rapport avec le mythe, est réécriture et intégration des mythes anciens en fusion avec notre parole sociale. Mais jusqu'à ce stade de mon exposé, le mythe reste du moins indéfini, chez certains auteurs, le mot mythe est apparenté à l’allégorie (le mythe de la Caverne, mythe platonicien, devrait être plutôt appelé allégorie de la Caverne). Chez d’autres auteurs, le mythe se confond avec légende, épopée, etc… Quelques fois même, et si le principe de Barthes est vrai, un certain nombre d’auteurs pensent que tout peut être mythe7. Ainsi posé, il assez difficile de savoir quelle définition on peut attribuer au mot mythe et ce qu’on doit considérer comme tel.

Si l’on considère les dictionnaires des mythes, seul le Dictionnaire des mythes littéraires dont les travaux ont été dirigés par Pierre Brunel aborde le devenir des mythes dans la littérature. Ils expliquent que dans l’étude d’un texte littéraire, le mot mythe se dégage difficilement du thème, on peut même parler de thèmes mythiques. Dans ce sens précis, il est pertinent d’évoquer le mythe puis le mythe littéraire qu’il ne faut pas interpréter comme mythe en littérature. C’est dire que l’intégration du mythe, dans un texte littéraire, subit des transformations, c’est ce que Marie Miguet-Ollagnier nommera les métamorphoses du mythe.

Ce dernier devient autre dès lors qu’il se soumet à l’altération du langage littéraire. A la fois altéré puis altérant, il devient signe littéraire participant notoirement à la littérarité du texte. Pour accéder à la définition du mythe littéraire, il est assez prudent de définir le mythe par ses fonctions, pour cela Mircea Eliade, historien des religions et morphologue du sacré, est l’un des spécialistes de l’imaginaire qui peut nous éclairer au mieux. Dans son ouvrage Aspects du mythe, il propose une définition qu’il considère "la moins imparfaite car la plus large" du mythe : "Le mythe raconte une
histoire sacré : il relate un événement qui a lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements".

Le mythe est un récit. C’est là, sa première fonction, le mythe raconte une histoire mais il s’attache aussi à expliquer, dans une dynamique de symboles et d’archétypes, comment ce récit a été produit. C’est donc le récit d’une création dont la forme simple est constitué par le jeu de la question et de la réponse. Un geste verbal par lequel la question contient elle-même la réponse, une réponse décisive qui annule toute autre interrogation : "le mythe est le lieu où l’objet se crée à partir d’une question et de sa réponse (...) le mythe est le lieu où, à partir de sa nature profonde, un objet devient création".9

Cette création apparaît alors pour Jolles et pour Eliade comme le seul archétype du mythe. Le mythe explique les causes de sa propre création, il est dans ce sens étiologique.

Le mythe a également une troisième fonction : celle de révéler. Eliade emploie ce verbe pour faire observer que toute mythologie est une ontophanie. C’est en cela que le mythe se présente comme une histoire sacrée, inspirée à quelqu’un qui va le raconter comme une parole qui a été révélée sans pouvoir lui attribuer un auteur précis : les mythes n’ont pas d’auteurs : dès l’instant qu’ils sont perçus comme mythes, et quelle qu’ait été leur origine réelle, ils n’existent qu’incarnés dans une tradition. Quand un mythe est raconté, des auditeurs individuels reçoivent un message qui ne vient, à proprement parler, de nulle part ; c’est la raison pour laquelle on lui assigne une origine surnaturelle.
En définitive, le mythe est vivant, ancré dans une tradition forte à laquelle s’alimente la littérature. Cette tradition mythologique, définie comme la somme des discours sur le mythe, annonce la naissance du mythe dans la littérature.

Les avis sont partagés : la littérature serait l’adversaire du mythe, la cause de son déclin ; mais si mythe signifie récit transmis, pour d’autres auteurs tel que Régis Boyer : "tout mythe est littéraire"10. Même George Dumézil, au début de Mythes et Epopée, reconnaît que la connaissance des mythes n’a pu se réaliser que par la littérature. Il en résulte que le mythe devient, par l’écriture, littéraire. Nous accédons peu à peu à la définition du mythe littéraire. Dans Mythes et Mythologies dans la littérature française, Pierre Albouy dit que le mythe littéraire est constitué par le récit qu’implique le mythe, récit que l’auteur traite et modifie avec une grande liberté. Par les nouvelles significations qui sont ajoutées aux données de la tradition, le mythe s’inscrit dans le jeu de la mouvance et devient une variation. C’est dans ce sens précis que le mythe littéraire recouvre sa pleine signification : entre les données stables sur lesquelles se construit le mythe, un jeu de variation se met en place signifiant la dynamique créative de la littérature.

Définir le mythe littéraire par rapport à la notion du mythe elle-même a conduit Philippe Sellier dans un article publié en 1984 dans Littérature “ Qu’est-ce qu’un mythe littéraire ? ” à poser avec beaucoup de clarté la définition du mythe littéraire. Il nous explique, après avoir défini le mythe comme un récit fondateur, que lorsqu’on passe du mythe au mythe littéraire certaines caractéristiques disparaissent. Ces caractéristiques sont les suivantes :

- le mythe littéraire ne fonde ni n’instaure rien ;
- les textes qui l’illustrent sont en principe signées ;
- le mythe littéraire n’est pas tenu pour vrai.

De l’article de Philippe Sellier, il ressort l’idée forte selon laquelle le mythe littéraire survit indépendamment du mythe ethno-religieux. L’auteur de l’article attire notre attention sur ces "mythes" qui naissent dans la littérature (Faust, Don Juan, etc.) ou dans des récits politico-héroïques (Alexandre, César, etc.) ; en fait ces mythes sont plutôt à ranger dans le genre de l’épopée. Leur récit développe une longue fresque qui décrit la magnification d’une personnalité.

L’éventail du mythe s’élargit, il s’ouvrira encore davantage si l’on admet que l’allégorie en est le substitut ou la sous classe. Cette extension sémantique du mythe a conduit un grand nombre d’auteurs
à utiliser le mythe à tort et à raison. Même ce qu’on nomme les mythes d’aujourd’hui ne sont en définitive que la ré-actualisation des mythes classiques, une preuve indéniable de la survie du mythe et que l’Homme est animal qui vénère. Même l’étude des mythes contemporains exige de l’envisager dans une tradition mythologique qui reste bien ancrée dans le réel et influant sur le présent.

Les théories du progrès nous ont habitué à penser que la modernité va de pair avec la fin de la religion et par-là celle du mythe ; Dieu disparaît au profit d’une institution politique mais en réalité, les mythes survivent. Mêmes fragmentés ou réduits par ces programmes politiques à une fonction utilitaire, les mythes témoignent que le religieux peut exister en dehors de toute institution ou de toute reconnaissance formelle.

Une fois de plus, le mythe continue à fasciner, à travers le temps et les époques, les hommes de toute culture. Cependant, cette fascination révélant et à juste titre la permanence du mythe ne signifie pas que les mythes "d’aujourd’hui" sont de nouveaux mythes. Je pense que la mythologie a imprégné notre réel et que nous attribuons, tout comme nos ancêtres l’ont fait, du sens aux phénomènes mystérieux vis-à-vis desquels on ne peut pas toujours donner une explication rationnelle.

Je crois qu’il est significatif de distinguer entre ces faits qu’on mythifie- au sens de fascination- et le mythe tel que Eliade et les spécialistes de l’imaginaire le définissent et que la littérature explore et réécrit.

Dans ce sens, il est plus adéquat de regrouper ces "mythes d’aujourd’hui" avec les "mythes" qui naissent en littérature et de les séparer des vrais mythes ethno-religieux que l’écriture entretient et que la littérature préserve.

Ces nuances sémantiques sont importantes, elles permettent de distinguer entre les mythes littéraires qui sont réécriture des mythes déjà inscrits dans une tradition mythologique universelle de ceux que la littérature crée. Dans une communication intitulée “ Des mythes primitifs aux mythes littéraires ”, André Dabezies souligne et à juste titre qu’il existe des images-forces capables d’exercer une fascination collective assez comparable à celle des mythes primitifs.

En somme, si nous considérons que tel personnage historique (Jeanne d’Arc : pucelle de Lorraine) est un mythe, c’est que nous la voyons comme héroïne mythique, nouvelle Amazone. Au début du XV ème siècle, dans une période des plus noire de l’Histoire de France, l’espoir d’un sauveur miraculeux a nourri les esprits déshérités. Une vieille prophétie prédisait que le France serait relevée par une vierge des Marches de Lorraine. Quand on aperçoit Jeanne sur Orléans, la prédiction fut rappelée et le peuple l’accepta avec enthousiasme. Le peuple s’émerveille qu’une femme ait pu accomplir des exploits dignes d’un vrai cavalier, on célèbre la combattante, l’amazone.

Ce processus de mythisation s’effectue dans la conscience collective, et que la littérature enregistre et sublime. L’inverse est possible, lorsque la littérature prend l’initiative d’inventer un mythe que la conscience collective accepte et intériorise. L’Homme est un animal qui vénère disait Nietzsche, c’est prouver que le mythe fascine, à travers toutes ses représentations, l’être humain.
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