LA VARIATION INTERLINGUISTIQUE

LA VARIATION INTERLINGUISTIQUE

LA VARIATION INTERLINGUISTIQUE 


Il n’est pas dans notre intention d’énumérer ici toutes les définitions ou typologies proposées pour le bilinguisme, mais de retenir celles qui nous semblent avoir un intérêt pour la sociolinguistique.

Bilinguisme et plurilinguisme. 


Très longtemps, il y a eu des débats pour savoir s’il fallait parler de bilinguisme ou de plurilinguisme. Il y a de nombreuses définitions, nous retenons celle de : -Georges Mounin « Le fait pour un individu de parler indifféremment deux langues », « également coexistence de deux langues dans la même communauté, pourvu que la majorité des locuteurs soit effectivement bilingue. »

-Définition du dictionnaire de didactique des langues

« le bilinguisme est une situation qui caractérise les communautés linguistiques et les individus installés dans les régions multilingues -Dictionnaire des sciences du langage de Todorov, « un individu est dit multilingue s’il possède plusieurs langues apprises l’une comme l’autre comme langue maternelle. » Le bilinguisme à travers ces trois définitions peut être considéré soit comme le fait d’une communauté soit comme le fait d’un individu.

Ces différences renvoient à tout un débat de linguistes qui considéraient que seuls les individus peuvent être bilingues et d’autres qui considéraient que cette notion peut s’étendre à toute une communauté linguistique. Se posent alors le problème de degré d’extension du bilinguisme, à partir de quel pourcentage considère - t-on que la communauté est bilingue ?, et quand peut-on parler de bilinguisme ?

Selon l’âge d’acquisition des langues on a pu parler de bilinguisme précoce ou tardif, selon la distribution faite dans la communauté on parle de bilinguisme composé, individuel stylistique ou social. Toutes ces approches défendent un point de vue différent.

Les différentes approches 


*-L’approche normative 
Elle prend en considération le degré de maîtrise de la langue : deux positions s’affrontent, l’une dit que tout le monde est bilingue, l’autre que personne est bilingue.

a)Tout le monde est bilingue. 
Les défenseurs de cette thèse pensent que dans tout acte de communication les locuteurs s’adaptent à une situation donnée. Or une langue varie selon les situations de communication, les locuteurs d’une langue disposent d’une variété d’usages, maîtriser une langue c’est savoir utiliser cette variété, c’est–à-dire savoir adapter son discours à chacune de ses situations linguistiques. Mahmoudian écrit : « on maîtrise mieux une langue dans la mesure où on manie un nombre plus élevé d’unités linguistiques et que l’on comprend mieux le sens qui rattache ces unités aux circonstances ». Martinet « développe la même idée lorsqu’il dit que la maîtrise d’une langue est constitué par une hiérarchie d’usages possibles qui sont les usagers quotidiens, les usagers solennels, politiques, artistiques. Ceci implique donc que le locuteur est à chaque instant obligé d’adapter son langage à la situation. On peut dire que tout locuteur est bilingue, exemple du langage bêtifié des parents lorsqu’ils parlent aux enfants, ou les colons qui tentent d’adapter leur langue maternelle aux parlers créoles.

 b) Personne n’est bilingue 
Certains linguistes disent que le bilinguisme n’existe pas dans la mesure où personne n’est capable de maîtriser à la perfection deux langues, c’est à dire sans aucune interférence. Si on prend en considération ces paramètres, il n’y a pas de bilinguisme. André Martinet explique que ce critère de la perfection n’a guère de sens car même un locuteur unilingue ne possède pas à la perfection sa langue et qu’il n’en utilise pas toutes les possibilités lexicales ou syntaxiques. Ce critère de la perfection est rejeté car il ne permet nullement de définir le bilinguisme ou le monolinguisme.

c) La troisième tendance tente de définir le degré de maîtrise relative.
Ils rapportent la méthode de Malherbe, une série de critères permettent de définir une situation de bilinguisme : -être en mesure de mener une conversation, un discours ou un sermon dans une langue étrangère que ce soit à l’écrit ou à l’oral .
-Savoir lire les journaux dans cette langue et en saisir l’humour.
-Etre en mesure de mener une conversation intelligible dans une autre langue et pouvoir lire sa littérature.
-Savoir lire implacablement l’autre langue.
-Savoir enseigner les deux langue.
-Posséder une grande maîtrise des deux langues
-Posséder une connaissance parfaite des deux langues. Que dire ? La mesure de la perfection repose sur des jugements de valeur subjectifs, on mêle différents niveaux de maîtrise d’une langue : l’écrit et l’oral.

On mêle pareillement la maîtrise d’une langue et l’aptitude à l’enseigner, ce qui ne se justifie pas. Beaucoup savent parler une langue mais ne peuvent l’enseigner. On peut dire que les systèmes de mesure de la perfection linguistique est un faux problème car toute situation de bilinguisme est marquée par une fluctuation des usages (variation continuelle). En effet, le comportement linguistique des bilingues est très variable, il dépend de nombreux facteurs d’ordres psychologiques et sociaux. Il y a des phénomènes de pressions sociales, les situations de communication qui fait qu’on ne peut établir des grilles rigoureuses.

La mesure de perfection se révèle vaine, il faut s’en tenir aux propositions de W Mackey « le bilinguisme doit être considéré comme un concept non pas absolu mais relatif ». Renzo Titone ajoute en rapportant Mackey qu’il ne faut pas poser la question : cet individu est-il bilingue ? Mais plutôt dans quel sens est-il bilingue c’est-à-dire qu’il faut rendre compte de la pratique bilingue du locuteur, de son comportement bilingue mais pas tenter de définir la nature du bilinguisme qu’il pratique.

* L’approche psychologique. 

A-Le bilinguisme infantile ou précoce : 

On parle de bilinguisme infantile quand il s’agit d’un enfant qui dès sa naissance est simultanément confronté à deux systèmes linguistiques différents par exemple lorsque la mère et le père parlent à l’enfant chacun leur langue ou lorsqu’une 3ème personne parle une autre langue que celle que parlent les parents. En fait cette situation est plus rare que la situation de bilinguisme précoce où l’on a des enfants monolingues dans les premières années de leur enfance qui apprennent ensuite une seconde langue soit par imprégnation du milieu familial et social soit à l’école. Les études à orientation psychologiques se proposent toujours différents objectifs, certaines études se proposent d’examiner le comportement de l’enfant qui est aussi très tôt mis en contact avec 2 ou plusieurs langues en général, ces études essaient de déterminer la conscience qu’a l’enfant de parler ou de ne pas parler plusieurs langues, on a 2 types de constatations qui apparemment sont contradictoires.

1-Il semble selon certaines expériences que les enfants acquiert les différentes langues sans s’en apercevoir. On cite les propos d’un linguiste allemand bilingue qui dès son plus jeune âge à la question » savez vous depuis le début que vous parliez deux langues ? Il répondit « je suppose que non, je parlais spontanément la langue de mon interlocuteur sans savoir ce que je faisais et cela depuis le début comme j’ai pu le déduire du témoignage de mes parents.

2- En face de ce premier type de recherche on a une autre type de recherche qui montre que les enfants distingue assez tôt entre 3 et 4 ans les différents systèmes qu’il parle et précisément cette capacité de parler, et la situation dans laquelle ils se trouvent, très vite ils perçoivent ce qu’on attend d’eux dans la situation scolaire et dans la situation familiale ou amicale.

Un autre facteur intéressant c’est leur capacité de traduire. Renzo Titone cite le cas de conscience différentielle qui lui permet de différencier les systèmes ce qui implique que l’enfant possède une double compétence c’est-à-dire une maîtrise intuitive de règles et de mécanismes différents. « L’enfant bilingue réussit-il à faire le rapport entre les personnes et les situations distinctes et les idiomes. » L’enfant pratique la différenciation des systèmes mais il ne possède pas la capacité d’énoncer, de formuler cette aptitude. Il a une conscience intuitive qu’il ne peut formuler.

Le bilinguisme favorable ou défavorable. La question souvent posée est celle de savoir si le bilinguisme est favorable ou défavorable, s’il est nuisible ou non. Cette question est posée à deux niveaux : , d’abord à propos des enfants, on se demande bien souvent si le bilinguisme est préjudiciable ou non au développement de l’enfant, c’est à dire à son équilibre psychologique, affectif, d’autre part, si c’est préjudiciable à l’acquisition de sa langue maternelle et de sa langue.

Ces présupposés sont démentis par de nombreuses expériences faites sur des enfants bilingues. Renzo Titone expose le cas d’un enfant qui apprend l’allemand avec sa mère et le français avec son père, la prononciation fut celle d’un enfant unilingue dès le début, le bilinguisme ne retardera pas le développement général du langage, c’est à dire que l’acquisition des deux langues n’a pas entraîné de retard. Les emprunts d’une langue à une autre réitèrent des cas isolés.

Dans les deux langues on assisté à un développement parallèlement en phonétique, en morphologie, en syntaxe. L’enfant devient très vite conscient de son bilinguisme et traduisait les messages d’une langue à une autre. Il acquit le concept abstrait de langue.

Tous ces exemples donnés par Titone semblent contredire la thèse qui veut que le bilinguisme soit dangereux, préjudiciable. Même thèse développée par Abdellah Chériet pour qui le bilinguisme est contre révolutionnaire, dangereux pour l’authenticité et pour la langue arabe alors que Lacheraf était pour le bilinguisme. Selon Chériet, le bilinguisme n’est pas une voie révolutionnaire pour l’enseignement, mais bourgeoise car ce n’est pas le bilinguisme qui donne au peuple sa formation socialiste.
De plus le bilinguisme est contraire à l’authenticité et le fait d’enseigner une langue étrangère à l’enfant orientera sa mentalité et donc son authenticité. Remarque : le bilinguisme est considéré sous un angle particulier, on considère les deux langues rivales. Pourtant l’Algérie est plurilingue et Chériet ne parle jamais des autres langues, les arguments avancés sont biaisés, la réalité linguistique n’est jamais décrite, l’arabe classique est considéré comme une langue maternelle.

En fait le véritable problème dans des cas de bilinguisme est la prise en charge pédagogique et un environnement harmonieux. « En créant un environnement adapté le petit enfant pourrait très bien apprendre deux langues ou plus sans grave difficulté et la redoutable barrière linguistique serait détruite à la base. »Titone

*3) L’approche sociale. 

On peut parler du bilinguisme social lorsqu’on prend en considération l’expansion du bilinguisme au niveau de toute une communauté. Cette approche sociale traite d’un certains nombres de questions : -le statut des langues en contact.

-la distribution de ces langues c’est-à-dire comment les langues se distribuent-elles parmi les locuteurs, comment sont-elles pratiquées par les locuteurs, d’où l’étude d’un certains nombre d’éléments à prendre en charge, la situation de communication, l’appartenance sexuelle, sociale, on s’attache aussi au phénomène de prestige, de valorisation et de dévalorisation, phénomène de mémorisation. C’est-à-dire l’attitude du locuteur à l’égard de ceux qui parlent.

-les problèmes de planification linguistique. Elle prend aussi en charge le retentissement de tous les éléments au niveau de la dynamique des langues c’est à dire la capacité d’évolution, de stagnation, de vie ou de mort des langues, quels sont les symptômes qui permettent de reconnaître ces phénomènes. L’importance de ces phénomènes sociaux se manifeste dans l’exemple que nous empruntons à Juliette Garmadi, 1981, La sociolinguistique, PUF, Paris, concernant le cas du Vaupès ; région qui se situe au centre de l’Amazonie avec une frontière commune à la Colombie et au brésil. Quelles sont les caractéristiques sociales de cette région ? il s’agit d’une population indienne qui vit dans des habitations dispersées, cependant on considère qu’il s’agit d’une population sédentaire bien qu’il lui arrive de se déplacer.

 Il y a plusieurs niveaux de structuration sociale de cette population, elle est structurée en unités définies par un seul critère : l’unité linguistique. Chaque groupe d’individus parlant la même langue est considéré comme appartenant à la même tribu. La tribu est définie par la langue du père donc tous ceux qui ont utilisés dès leur enfance la langue du père font partie de la même tribu.

C’est donc la langue du père qui confère l’identité au groupe, à la tribu. Un indien de cette tribut doit se marier avec une femme d’une autre tribu obligatoirement donc parlant une autre langue sinon cela est considéré comme un inceste.
Exemple, un enfant appartenant à une tribu doit avoir comme première langue la langue de son père, la mère est tenue d’apprendre la langue de son mari mais elle peut aussi parler sa langue avec les autres femmes , elle communique avec son fils la langue de son mari . Quels sont les points que suscite l’attention du linguiste par rapport au vaupés ?

-Au niveau de l’étendue du bilinguisme. Le plurilinguisme pourrait être envisagé dans cette région à plusieurs niveaux : au niveau familial ou cellule nucléaire. au niveau de la tribu, au niveau du Vaupès.

Selon Juliette Garmadi, il y a une stabilité du plurilinguisme que l’introduction du portugais et de l’espagnol dans la région ne semble pas remettre en cause. Elle affirme : une des premières conclusions que l’on peut tirer de l’étude de la situation du Vaupès est que les sociétés complexes ne sont pas les seules garantes possibles de la stabilité du plurilinguisme. Elle veut dire que l’on aurait tendance à croire qu’une situation comme le vaupés, avec l’accord de la colonisation aurait
pu voir son plurilinguisme céder devant la langue du colonisateur, or il n’en est rien car le plurilinguisme du Vaupès se maintient très bien.

Donc les sociétés stables ne sont pas les seules garantes de la stabilité. L’existence du plurilinguisme et de sa stabilité ne sont liées ni à des types d’institutions précises, ni au nombre des locuteurs, ni à la dimension, ni à la densité d’un pays. Juliette Garrmadi à travers l’exemple du Vaupès semble remettre en question toutes ces hypothèses.

-Au niveau psychologique du bilinguisme.
-Au niveau psychologique, le plurilinguisme peut être précoce ou tardif, ce bilinguisme est aussi équilibré car les langues acquises dans l’enfance le sont avec une maîtrise égales
-Au niveau linguistique et sémio culturel
-Au niveau des systèmes culturels transmis par le langage, on peut parler de bilinguisme composé, c’est à dire que les langues parlées réfèrent à une même situation sémio culturelle, que les langues indiennes parlées dans le Vaupès renvoient au même référent culturel dans la mesure où la culture indienne de cette région est homogène et que toutes les langues parlées sont le véhicule de cette culture homogène, ce qui peut se traduire en disant que les enfants du Vaupés ont un seul système de signifié mais qu’ils ont pour le traduire différents signifiants correspondant aux différentes langues qu’ils parlent.

C’est dans ce cas que l’on parle de bilinguisme composé car ce dernier implique théoriquement la perméabilité des systèmes linguistiques en contact, c’est-à-dire qu’il y a très souvent passage d’une langue à une autre, il y a interférence à tout niveau : phonologique, lexical et syntaxique.

Conclusion :


 Si l’on s’en tient au cas du Vaupés, on peut dire à propos de l’Algérie : qu’elle présente bien une situation de plurilinguisme social. Ce bilinguisme peut être caractérisé à la fois comme précoce et tardif(beaucoup d’enfants apprennent les langues dans leur petite enfance mais aussi à l’école). Ce bilinguisme est aussi équilibré, il est plutôt coordonné que composé car le référent sémioculturel du kabyle et du français est différent du kabyle et de l’arabe, le français l’est aussi.