Du commentaire d’un texte en français au commentaire stylistique

Du commentaire d’un texte en français au commentaire stylistique

Du commentaire d’un texte en français au commentaire stylistique


 Depuis la dernière réforme du CAPES de lettres, en 2014, l’étude stylistique est une des quatre épreuves qui permettent, à égalité de points, d’évaluer la compétence des futurs professeurs de lettres au sein de l’épreuve intitulée « Étude grammaticale de textes de langue française2 ». Nous ne discuterons pas ici du statut toujours problématique de la « stylistique » dans le champ de la « linguistique » (Bordas, 2007), mais nous nous contenterons de considérer l’existence du commentaire stylistique comme une donnée de fait au CAPES. Par sa place au sein des épreuves du CAPES, il semble incontestable3 que « la stylistique reste un travail sur la langue » (Bordas, 2007, p. 246), ce que confirme le rapport de jury de 2004 qui parle « d’un devoir de linguistique appliquée à un corpus
littéraire ».


1. Origine du commentaire dit stylistique


 Bordas (2007, p. 242) a montré que le commentaire stylistique, tel qu’il est conçu dans les concours de recrutement des professeurs, a été défini par Antoine (1959), fondateur, en 1960, de la nouvelle agrégation de lettres modernes :

[…] Le stylisticien doit 1o constituer le catalogue des procédés utilisés par l’artiste, i. e. les identifier par rapport à l’état de langue où ils ont vu le jour ; « expliquer », i. e. les motiver et les caractériser en fonction de l’intention qui les a fait choisir. Il faut seulement s’entendre, pour finir, sur les limites, la nature, les modalités de ces deux opérations. (p. 55)

Mais il a également établi (Bordas, 2003, p. 582) que c’est Lanson4 (1925) qui a voulu proposer un rééquilibrage dans la formation des professeurs de lettres en l’étayant sur deux piliers fondamentaux et complémentaires : l’histoire littéraire d’un côté, évaluée par l’exercice de composition française, l’étude de la langue d’autre part, évaluée par l’explication d’un texte en français.

L’exercice de l’explication a pour but, et, lorsqu’il est bien pratiqué, pour effet, de créer chez les étudiants une habitude de lire, attentivement, et d’interpréter, fidèlement, les textes littéraires. Il tend à les rendre capable de trouver dans une page ou une oeuvre d’un écrivain ce qui y est, tout ce qui y est, rien que ce qui y est. (Lanson, 1925, p. 40)

En un mot, lire avec réflexion, lire pour comprendre et de façon à comprendre, lire pour se donner non seulement des impressions fortes ou des impressions multiples, mais pour acquérir une intelligence claire, précise et distincte des textes […], c’est une chose qui ne se fait pas toute seule […], c’est une chose qui s’apprend, et c’est la chose qu’on apprend par l’exercice de l’explication de texte. (Lanson, 1925, p. 44-45)

 Par cette innovation, Lanson soulignait « l’importance de l’étude de la langue dans l’analyse méthodique d’un texte littéraire français » (cité par Bordas, 2003, p. 582), et affirmait la nécessité d’une double formation, à la fois linguistique et littéraire dans la formation des professeurs de lettres. Ce postulat reste à priori inchangé puisque les concours de recrutement comportent ces deux composantes, et elles sont tout particulièrement associées dans l’épreuve dite du « commentaire stylistique ».


2. Métalangage et compétences attendues


 L’épreuve de stylistique est vue comme une épreuve « technique », qui suppose une démarche méthodique et s’appuie sur un métalangage précis. La transposition didactique de notions linguistiques ne va pas de soi, et les rapports de jury des concours de recrutement des professeurs de lettres peuvent être considérés comme révélateurs des « avancées » théoriques — éventuellement critiquables — jugées suffisamment consensuelles pour être transposées dans l’enseignement. À la lecture des rapports récents (2011-2016) du jury du CAPES de lettres modernes, nous avons tenté de
circonscrire le champ des notions linguistiques qui sont supposées connues des candidats.

 Les rapports fournissent souvent « une liste commentée des postes stylistiques attendus », voire « l’ensemble des postes d’analyse stylistique qui étaient attendus par le jury ». Le relevé systématique des termes métalinguistiques présents dans les sept rapports analysés nous donne deux indications essentielles. Tout d’abord, on peut affirmer que les « postes d’analyse stylistiques » coïncident quasiment avec toutes les entrées de la Terminologie grammaticale de 1997. On y trouve en effet, outre des termes généraux désignant des unités ou des fonctionnements linguistiques, le vocabulaire de la grammaire de discours, celui de la grammaire textuelle et celui de la grammaire de phrase ainsi que le vocabulaire de la lexicologie dans ses aspects formels et sémantiques.

 Ainsi, les Notions générales qui ouvrent la Terminologie grammaticale sont exploitées dans les rapports au titre des connotations , de l’oralité , ou des questions de rythme. La grammaire de discours est largement présente : dispositif énonciatif , commentaires métadiscursifs , plans d’énonciation, situation d’énonciation , valeurs des temps, , discours rapporté, modalités et/ou modalisateurs, actes de parole  et contenus implicites , etc. La question des genres littéraires apparait derrière le titre de Types de discours, décliné en genre théâtral , genre autobiographique ,
genre narratif , genre épidictique , genre poétique, genre argumentatif, tandis que la question des registres littéraires (burlesque, comique, parodique…) est évidemment absente de la Terminologie.

Les notions de grammaire de texte sont également évoquées dans les rapports de jury : thème/propos à travers la question de la thématisation ou de la progression thématique ; modes de désignation et chaine de référence, à travers les questions d’anaphore ; cohésion et cohérence à travers les connecteurs. Enfin, la grammaire de phrase est présente à travers des analyses de l’organisation syntaxique, des types et formes de phrase, des classes de mots ou des fonctions dans la phrase.

 Les rapports de jury nous indiquent également les domaines non strictement linguistiques qui sont attendus. Il s’agit du vocabulaire de la narratologie ou de l’analyse de discours et surtout du vocabulaire de la rhétorique, essentiellement figurative. Il faut mettre à part les trois grands tropes (métaphore, métonymie, synecdoque), cités dans la Terminologie de 1997, qui sont situées à l’interface entre rhétorique et linguistique, et susceptibles d’une description sémantico-syntaxique souvent riche sur le plan interprétatif. En dehors de ces figures, il y a une abondance de termes rhétoriques dans les rapports de jury, ce qui peut être considéré comme une preuve de la « revanche » ou du retour subreptice de la rhétorique que Bordas (2003, p. 580) a mis en évidence. Les
rapports de jury renvoient également au vocabulaire de la versification. Enfin, grâce aux ouvrages de C. Kerbrat-Orecchioni (1990-1992-1994, 2001) en particulier, le vocabulaire de la pragmatique (maximes conversationnelles, enchainement des répliques et des interactions verbales (dimension verbale / kinésique / proxémique  est considéré comme un prérequis de la compétence du futur professeur de français.


3. Petit recul critique : polyphonie ou cacophonie ?


 Bien évidemment, les textes proposés au concours sont fort différents les uns des autres et les rédacteurs des rapports de jury émanent de divers corps de l’Éducation nationale. Néanmoins, les étudiants lecteurs de ces rapports sont souvent déstabilisés par certaines discordances que la juxtaposition des documents amplifie encore. Ainsi, l’utilisation du métalangage linguistique tend à perdre sa rigueur scientifique pour se dégrader en formules plus approximatives. Prenons l’incontournable question de l’étude des systèmes énonciatifs dans le texte : parle-t-on de plan du discours  ou de régime de discours  ? de grammaire de l’énonciation ou de domaine de l’énonciation
 ? de plan du récit , ou de modalités de l’énonciation narrative  ?

L’emploi du terme modalité, parfaitement intelligible pour un expert est souvent source de confusions pour les étudiants qui ont du mal à percevoir que les modalités d’énonciation évoquées dans un rapport sont parfois appelées modalités phrastiques  et qu’elles correspondent ailleurs aux types de phrase  des programmes scolaires. De même, si les étudiants ont l’obligation de bien connaitre les programmes pour la question de mise en situation professionnelle, il n’est sans doute pas indifférent de leur parler de forme impersonnelle plutôt que de tour impersonnel  ou de tournures impersonnelles , même si ces variantes peuvent sembler de peu d’importance.

 Les candidats au professorat de lettres doivent maitriser un métalangage linguistique précis, mais aussi en phase avec les instructions officielles qu’ils seront appelés à connaitre dans leur futur métier. Mais qu’en est-il de leurs compétences linguistiques à l’entrée en master ?
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