Introduction à la littérature maghrébine

Introduction à la littérature maghrébine

INTRODUCTION


Une littérature maghrébine de langue française est apparue au début des années 50, digne d'attention sur le plan esthétique, et ceci grâce entre autres aux Editions du Seuil, Denoël et Plon. Les publics étaient restreints en ces années, surtout français d'ailleurs. Depuis lors les lecteurs sont de plus en plus nombreux et cette littérature est connue internationalement. Des prix prestigieux la mettent en lumière : 1986, le Grand Prix national des Lettres à Kateb Yacine ; 1987, le Prix Goncourt à Tahar Ben Jelloun. Les auteurs maghrébins entre de plain-pied dans le champ francophone, de la « francopolyphonie » (Stélio Farandjis).

Cependant, si les auteurs écrivent en français, ils ne le font pas en tant que Français, mais en tant qu'Algériens, Marocains et Tunisiens. Par ailleurs, francophone ne veut pas dire nécessairement francophile. Ecrivant le français, ils ne font donc pas allégeance à la France, cela va de soi. Mais, aimant leurs propres cultures, ils sont libres d'aimer aussi la culture française ou celle d'autres pays. Ni aliénation, ni trahison de leurs compatriotes en cela.

Parler de la littérature maghrébine tout court serait ambigu. En effet, ce serait comme si on oubliait que chacun des trois pays (Algérie, Maroc, Tunisie) se veut arabe, de langue arabe et de culture arabo-islamique, du moins est-ce l'idéologie officielle, au point même d'occulter la dimension berbérophone en Algérie et au Maroc, qui a autant de richesses culturelles et spirituelles que la précédente. Il existe aussi depuis des siècles une littérature de langue arabe, renaissante depuis les indépendances recouvrées ; quelques romans en berbère ont aussi déjà été publiés. Parallèlement, une importante et riche littérature orale populaire rehausse encore le patrimoine culturel.

Le Maghreb est un et divers. Il est marqué culturellement par la conquête française qui a été comme une fitna, une épreuve et une tentation séduisante, stimulante mais troublante. L'Autre était dans la place, étranger, de surcroît non musulman. Sa puissance, sa modernité, sa langue critique et désacralisante écrasaient.

L'Algérie fut dite « française » de 1830 au 3 juillet 1962, le Maroc fut protectorat de 1912 au 20 mars 1956 et la Tunisie de 1881 au 2 mars 1956. Chaque pays a sa personnalité et ses spécificités historiques et culturelles. L'émergence de la langue française ne fut pas uniforme. En Algérie, la France voulut « franciser », « s'emparer de l'esprit du peuple » après « s'être emparé de son corps » (capitaine Richard en 1846). Mais les Algériens ont conquis à leur tour le français et l'ont même retourné contre le maître. Dominant cette langue, sauf exception ils sont sans complexe en s'en servant. Mouloud Kassim Naït Belkacem, chargé du Haut Conseil de la langue nationale, déclarait que le français est « le seul acquis positif de la colonisation »

Au Maroc, si le roi Hassan II déplore que l'enseignement et l'administration aient été « systématiquement francisés » sous le protectorat, il écrit néanmoins : « Il n'est pas possible de connaître la langue française sans l'aimer. » C'est une fenêtre sur le monde « de la logi-que, de la raison, de la mesure »

En Tunisie, le ministre Khayr Ed-Din fondant le collège Sadiki en 1875 y introduisait la langue française. En 1968, dans son discours à Montréal, le président Bourguiba déclarait : « Jamais nous n'avons éprouvé de ce fait [l'usage et le maintien du français] une quelconque "déculturation". "Par le français la Tunisie [...] a forgé une mentalité nouvelle." Le français fut "un puissant moyen" de contestation, de rencontre, de communication et d'enrichissement. » Il est vrai que la Tunisie avait préservé son héritage culturel.
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