La spécificité du texte dramatique :Les didascalies, Les répliques

La spécificité du texte dramatique :Les didascalies, Les répliques

La spécificité du texte dramatique


Le texte théâtral consiste en une délégation de parole. Le dramaturge écrit pour que s’expriment les personnages. Il y a donc deux niveaux énonciatifs, bien distincts typographiquement, selon que c’est le dramaturge (didascalie) ou les personnages (dialogues) qui s’expriment. Le texte dramatique est en effet constitué de deux types de voix :

• Les répliques, texte destiné à être proféré sur scène, qui constituent ensemble le dialogue et
pour chaque personnage ce qu’on appelle précisément son rôle ;

• Et les didascalies, texte qui ne serait — en principe — pas proféré dans le cas d’une représentation.


Les didascalies


À la manière des nuances exprimées en italien sur partition (pianissimo, piano, forte, fortissimo, etc.) et qui indiquent comment doit être jouée une note, une phrase, ou encore un passage entier d’une oeuvre musicale, la didascalie, du grec διδασκαλια, « enseignement, instruction », donne des indications sur le jeu des acteurs. Plus particulièrement, la didascalie mentionne en début de texte l’identité des personnages. Elle indique qui est présent dans chacune des scènes. Elle apprend qui dit quoi et à qui, renseigne sur l’espace, les gestes et mouvements des personnages ou leur interaction avec des objets présents sur scène. Elle peut également donner des indications sur le décor, les ambiances lumineuses et sonores, la diction, etc.

On préfère le terme didascalies à indications scéniques, puisque les répliques en suggèrent également.
C’est ce qu’on appelle les didascalies internes : « Prends un siège, Cinna » (Corneille, Cinna), « Voilà un homme qui me regarde » (Molière, George Dandin), « Bois ton thé, Sémiramis. (Il n’y a pas de thé, évidemment.) » (Ionesco, Les Chaises), etc. À vrai dire, dans la mesure où il peut être interprété de manière à dégager des indications au sujet de la mise en scène, tout discours est potentiellement didascalie interne. Aussi l’expression s’en trouve-t-elle largement disqualifiée.


Les répliques


Pour comprendre la complexité d’un personnage, il faut pénétrer dans la profondeur du dialogue,
notamment en saisissant son contexte d’énonciation. Lorsque Phèdre dans la pièce éponyme (1677) de Racine s’écrie : « J’aime... à ce nom fatal, je tremble, je frissonne », qui s’exprime ? la femme de Thésée ? la belle mère d’Hippolyte ? une femme éprise d’une passion déchirante ? Vénus ? tout cela à la fois ?

Au contraire, en particulier à partir des années 50 et dans le nouveau théâtre où le langage a perdu sa fonction rassurante d’échange d’information, le dialogue est volontairement « à côté » de la situation. Dès lors compte moins ce qui est dit que la façon dont cela est dit, les hésitations, les silences, les stéréotypes, etc. Le langage ordinaire relève une peur ou une impossibilité de se situer par rapport au monde.

Au XXe siècle, les écrivains dramatiques ont poussé à leur paroxysme le jeu entre répliques et didascalies. Dans La Nuit juste avant les forêts, écrite en 1977 par Bernard-Marie Koltès, les didascalies sont tout simplement supprimées. Aucun espace n’est désigné ni aucun personnage annoncé : le texte semble se réduire à un immense et unique monologue intérieur. Mais, détail essentiel, il est flanqué de guillemets, qui s’ouvrent avant le premier mot pour se fermer après le dernier. Guillemets qui signifient que le texte cite quelqu’un, un personnage qui parle. Il s’agit donc toujours, énonciativement parlant, de discours direct, signalé par la présence, discrète mais indéniable, d’une marque attributive. Il y a donc bien délégation de parole et par conséquent théâtre.

Au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire du théâtre et que l’on distingue de plus en plus clairement l’écrivain dramatique du metteur en scène, on note plutôt une amplification, une extension de la didascalie par rapport au dialogue. À l’inverse de l’effacement observé chez Koltès, la didascalie peut en effet s’enfler considérablement, et finir par briguer le statut de voix narrative. C’est notamment le cas dans Acte sans paroles (I et II, 1956 et 1959) de Beckett, constitué seulement d’une longue didascalie décrivant les faits et gestes d’un personnage muet.
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